Lorsque
nous posons le pied à l’auberge, notre hôte nous prévient qu’un mariage se
déroule juste à côté. Pas le temps de traîner, nous allons jeter un œil…
L’objectif
de notre journée en pays Toraja est de partir à la recherche d’un guide pour
nous faire découvrir sa région. Pour cela la première étape est de passer par
une sorte de speed-dating dans un
restaurant de la ville, où les guides attendent les touristes.
La région
est particulièrement connue pour ses traditions et rites animistes, notamment
lors des funérailles. Leurs coutumes sont tellement différentes des nôtres
qu’il est difficile de savoir par où commencer. Hasard des circonstances ou
écho des cultures, il s’agit d’un moment d’autant plus particulier pour nous qu’il
intervient le même jour que d’autres funérailles où nous ne pouvons
malheureusement pas nous rendre du fait de notre éloignement…
Notre
présence dans le village est bien acceptée, un membre de la famille vient nous
saluer et nous offrir du thé et des biscuits. Il nous installe dans l’une des
petites cabanes provisoires et numérotées qui entourent la place où auront lieu
les festivités, le cercueil étant à l’honneur au centre bien à l’abri dans une
maison traditionnelle. Nous avons du mal à comprendre comment notre présence ne
les incommode pas, mais nous percevons qu’avoir de nombreux invités –qui plus
est étrangers- est une chose positive. Sur les conseils du guide, nous
remettons notre cadeau à la famille, i.e. une cartouche de cigarettes
locales... Nous nous sommes vus proposer de venir avec un cochon ou un buffle
d’eau, mais c’est un peu encombrant (et surtout un peu cher) !
Pour les
défunts, avoir une cérémonie est la garantie du passage dans le puya (au paradis), il faut pour cela
faire des sacrifices et les esprits des bêtes tuées serviront à les
accompagner…
Les
funérailles durent de deux à sept jours, suivant la classe sociale du défunt.
Mais pour qu’elles puissent avoir lieu, des sommes considérables sont en jeu.
Les familles et proches du village s’offrent entre eux des buffles (compter de
30 à 500 millions de rupiah pour un buffle noir ou tacheté, soit de 2 000 à
plus de 30 000 euros) et des cochons (entre 500 000 et 3 millions de
rupiah). S’en voir offrir un oblige à la réciproque le moment venu. Des sommes
conséquentes sont au centre de la vie économique et sociale du pays Toraja…
Chose
surprenante, les défunts ne sont pas considérés comme morts tant que la
cérémonie n’a pas eu lieu. Et tant qu’il n’y pas assez d’argent, il n’y a pas
de célébration… Vous commencez à voir le problème. Les personnes sont donc considérées
comme « malades », mais continuent de vivre dans la maison. Il faut
s’adresser à elles comme à des personnes vivantes, et même leur proposer un
petit café ! Vivre avec une personne décédée (d’un point de vue médical)
peut durer un certain temps, qui se compte en jours, mois, années… voire
dizaines d’années. Pour rendre cela possible, les familles ont accès à du
formol à l’hôpital et conservent ainsi leurs défunts chez eux, en attendant une
cérémonie.
Notre guide
nous expliquera qu’il a des funérailles prévues en septembre, soit dans trois
mois, et qu’il doit s’organiser. Le « malade » restera dans sa maison
pendant tout ce temps. Avoir une date de cérémonie trop proche peut mettre dans
l’embarras si l’on n’a pas le temps de collecter l’argent pour acheter les
bêtes à sacrifier…
Parlons des
choses sérieuses : Les sacrifices. Nous avons assisté aux funérailles
d’une personne de la classe sociale supérieure, c’est donc pas moins de 27
bêtes qui ont été offertes à la famille, 24 buffles et 3 cochons. La famille
décidera de sacrifier 16 buffles et les 3 cochons, les 8 bêtes ayant échappé au
massacre seront vendues sur le marché ou rendues à la famille qui l’a offert
(oui, les cadeaux se négocient, en fonction des situations individuelles – pratique !).
Cela
commence brutalement, nous apercevons un buffle en train de s’agiter au milieu
de la place. Nous comprenons rapidement qu’il a reçu un coup de machette sous
la tête, dans l’aorte. Son sang gicle de toute part, et sans attendre, c’est un
second buffle qui s’agite, pour les mêmes raisons… Lorsque le « bourreau »
est efficace, il ne faut que quelques secondes pour que l’animal tombe à terre.
Lorsqu’il est plus timide, il doit s’y reprendre à deux ou trois fois avant que
le buffle s’écroule, souvent secoué par de fortes convulsions. Rapidement, ce
sont plusieurs bêtes qui se vident simultanément de leur sang, les buffles se bousculent et se tombent les uns sur les autres, certains
prennent peur… L’un des bourreaux se prend une douche involontaire de sang, en
étant positionné juste devant le buffle. C’est un carnage complètement bestial,
un véritable bain de sang,.. Les trois petits cochons passant par-là se
prennent également un coup de machette dans le flan et tombent au bout de
quelques secondes…
Bientôt,
c’est un véritable charnier que nous observons. Deux douzaines de bêtes sont
mortes, le sang imprègne le sol et déjà les mouches commencent à se présenter.
Nous sommes
ici pour découvrir une culture, pour
autant, nous aurions préféré qu’il y ait des chants, prières ou autres qui
accompagnent le sacrifice. Nous n’avons pas ressenti une spiritualité ni de
l’émotion dans ce moment. Nous nous rendons simplement compte que la scène à
laquelle nous venons d’insister est pour les locaux d’une banalité désarmante,
alors que nous avons difficilement vécu de nous trouver au milieu d’un abattoir
à ciel ouvert.
Les bêtes
seront dépecées et leur viande répartie entre les familles. Nous avons
largement notre quota d’images sanglantes, il est temps de passer à autre
chose, nous dirigeons vers le marché de Rantepao.
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